Pays : Allemagne
Date : 2004
Genre : Neue Deutsche Härte
Rammstein n'est pas n'importe quel groupe, évidemment. Depuis leurs débuts dans le Metal Industriel au beau milieu des années 90, les six Allemands se sont imposés comme une référence incontournable dans la musique, non seulement auprès des fans de Metal et d'Industriel, mais aussi auprès de toutes sortes de gens aux goûts musicaux plus hétéroclites jusqu'à devenir probablement le groupe Allemand le plus connu de la jeunesse et l'un des groupes les plus célèbres du Metal... En trois albums, ils ont déjà fédéré un fandom qui s'étend de Depeche Mode à Ministry.
Évidemment, ça en fait, du monde à satisfaire, et on comprend bien que la tâche de Rammstein ne sera pas facile pour son quatrième album ; c'est d'autant plus vrai que Rammstein a fait le pari d'évoluer à chaque album, et particulièrement avec
Mutter qui l'a beaucoup éloigné du Metal Industriel, certains fans lui en veulent pour cela ; paradoxalement, cet album a aussi permis au groupe de franchir une nouvelle étape dans la conquête de sa popularité, et il est aujourd'hui le préféré des fans! Alors lorsque Rammstein est revenu avec ce nouvel album intitulé
Reise, Reise (
Voyage, Voyage, plagiat éhonté de Desireless), il était clair que ce titre était particulièrement bien adapté : l'heure était venu pour le groupe de savoir s'ils voulaient achever le voyage commencer avec
Sehnsucht qui les emmenait loin des terres du Metal Industriel à la recherche de leur propre style. Nous sommes en 2012, la réponse à cette question était évidemment oui, et certains fans ne l'ont jamais pardonné à Rammstein... Ce désaveu est bien sûr compréhensible lorsqu'on aime la Musique Industrielle, Rammstein coupe définitivement les ponts avec cet album, mais il faut être de bonne foi et reconnaître que Rammstein n'avait d'autre choix que d'achever son évolution s'il voulaient rester à la hauteur de ce qu'il avait fait autrefois : comment nos Teutons auraient-ils pu refaire
Herzeleid,
Sehnsucht et
Mutter alors que ces albums étaient précisément parfaits dans leur genre? D'autre part,
Reise, Reise a trouvé ses propres fans, y compris parmi des gens qui connaissent très bien la musique, aussi faut-il reconnaître malgré toutes les réticences que peut avoir un fan de la première heure que cet album a ses propres qualités. Mais alors quelles sont-elles?
À l'écoute de cet album, il apparaît tout d'abord que si le fond a subi une parfaite métamorphose, la forme de la musique de Rammstein est en fait restée bien reconnaissable! Ce que je veux dire, c'est que la façon de composer est toujours la même, toute simple et pouvant aller droit au cœur avec un naturel époustouflant, une intro particulièrement originale, des guitares pour apporter sa force au morceau, mais surtout une mélodie portée par un clavier décalé et le chant de Till Lindemann, le tout sur une chanson assez courte et à la structure classique. Idem pour le son exceptionnellement pur, rassurez-vous, ce sont là des éléments qui ne changent pas chez Rammstein. En revanche, si on cherche du côté des sons employés et de l'importance prise par les différents éléments de la composition, force est d'admettre que ça n'a plus rien à voir! Les évolutions sont les mêmes que sur
Mutter, mais en bien plus poussées : en clair, les riffs sont désormais nettement plus longs, moins tranchés, destinés à emporter plutôt qu'à frapper, les mélodies sont à l'honneur ; de plus, les sons ne sont plus vraiment froids, ils sont devenus plus organiques que dans le Metal Industriel, on remarque notamment l'usage de chœurs... Tout cela donne une profondeur et une richesse à l'album qui sont louables en soi, mais vous l'aurez compris, nous sommes à des années-lumières de l'aspect martial et oppressant de
Herzeleid. Et alors?
La chanson-titre
Reise, Reise fait une ouverture magnifique avec son intro puissante, et on est déjà immergé tout entier dans le concept de voyage de l'album, on sent Rammstein nous emmener loin, très loin... Cependant, la suite de la chanson est moins glorieuse sur le plan de l'instrumental, voir franchement prévisible ; c'est que cette chanson se repose toute entière sur le chant de Till, lequel est plus assuré que jamais, il parvient à lui seul à transformer ce morceau à première vue banal en hymne féroce et entraînant! Cet album est la preuve définitive que Rammstein a l'un des chanteurs les plus remarquables du Metal. Toutefois, même si ce premier morceau se tient, donc, on est aux anges après cette chanson lorsque l'on tombe dans les profondeurs infernales de
Mein Teil. Avec son titre basé sur un jeu de mots qui paraît bien sinistre lorsqu'on sait à quoi il renvoie, ce morceau est sans nul doute l'un des plus agressifs de l'album, les guitaristes nous assènent un riff écrasant, le chant devient complètement fou, et le clavier lui-même contribue à l'atmosphère sinistre avec des pleurs d'enfant et des chœurs effrayants... Ça n'a strictement rien à voir avec les premiers albums, et pourtant, c'est diablement violent à sa façon! Mais l'album se poursuit, et on monte encore d'un cran avec
Dalai-Lama... Outre qu'on applaudit Rammstein pour la référence littéraire des paroles, cette composition est particulièrement géniale de subtilité angoissante, le calme pesant par lequel démarre la chanson s'alourdit au fur et à mesure pour créer un véritable moment d'angoisse surnaturelle... Là encore, Till énonce avec talent ses paroles effrayantes, on tremble comme si on y était, et comme le personnage de la chanson, on se raccroche aux chœurs d'un calme surnaturel... Vous ne me croyez peut-être pas, mais ce morceau est l'une des plus grande réussites de Rammstein, au moins égal à tout ce qu'ils ont pu faire par le passé. Le suivant ne dément pas le talent exceptionnel que déploie jusque-là Rammstein sur cet album, c'est
Keine Lust avec son agressivité dévorante et répétitive qui contraste superbement avec le clavier... Sûrement le titre qui rappelle le plus le passé Metal Industriel de Rammstein.
Bon, arrivé là de l'album, on peut être un peu déçu, car la montée en puissance s'arrête ici : le cinquième morceau,
Los, est peu enthousiasmant, on attend tout le long qu'il décolle, mais il ne se passe rien... L'influence country est une bonne idée, décidément Rammstein se montre bien fantaisiste sur cet album, le chant de Till rend l'ensemble sympathique, mais rien à faire, cette chanson ne marque pas. Notez tout de même qu'elle est autrement plus efficace en live. Et puis, viennent
Amerika et
Moskau, et là, il est probable que le fan d'Industriel moyen hurle de rage... Oui, ces chansons sonnent soudain comme du pop-rock! Néanmoins, ne les condamnez pas trop vite :
Amerika n'est peut-être pas la chanson la plus originale de Rammstein, ses couplets peuvent paraître vides, mais il faut reconnaître que les Teutons ont réussi à lui donner un refrain imparable ; quant à
Moskau, très accessible ou pas, je ne vois vraiment pas ce qu'il y a à lui reprocher, elle est enrichie d'un duo bien géré avec une chanteuse Russe, Rammstein s'en sort bien en assumant l'aspect pop de la chanson pour le retravailler à sa façon. Bon, ce n'est pas du tout ce qu'on attendait de R+, mais les Teutons se sont essayés à autre chose, et ils l'ont fait un certain succès, l'album en sort enrichi même si ces deux titres ne sont pas non plus ceux que l'on retiendra de l'album. Mais ce n'était pas leur but. Rammstein reprend son sérieux avec
Morgenstern, et cette fois, les chœurs omniprésents font presque penser à du Metal Symphonique, par moments! Le morceau peut paraître un peu déséquilibré, mais la montée en puissance finale parfaitement préparée par le clavier pour le chant implorant de Till (on se demande vraiment ce que deviendrait Rammstein sans Till et Flake!) fait tout l'intérêt de ce morceau, Rammstein joue avec succès la carte du contraste.
Morgenstern est la chanson préférée de certains fans, moi pas, mais son intérêt est indéniable. Remarquez que la batterie est mise en valeur, pour une fois.
Comme sur la plupart de ses albums, Rammstein se calme un peu pour conclure, et
Stein Um Stein ne déroge pas à la règle, cette chanson commence comme une ballade, avec des sonorités venues de loin, Till plus doux que jamais... Et soudain, le morceau bascule dans la folie. Till se met à hurler, accompagné par un riff de guitares que l'on retrouvera plus tard sur
Rosenrot mais aussi sur
In My Tears d'Emigrate, le projet solo du guitariste Richard Zven Kruspe... Euh, à vrai dire, on aurait pu se contenter de cet exemplaire-là.
Ohne Dich marque une étape supplémentaire dans l'apaisement de l'album ; cette ballade est acclamée depuis longtemps par les fans, et je ne ferais pas exception à la règle, elle est exceptionnellement bien inspirée, exprime à la perfection la douce amertume du manque d'un être aimé... Qui plus est, elle colle étonnamment bien au clip qui sera réalisée plus tard, quiconque l'a vu ne pourra plus l'écouter sans se sentir partir vers une haute montagne de solitude... Il n'y a rien de bien violent là-dedans, c'est plus subtil, et cette ballade est l'une des plus réussies de Rammstein -là encore, il n'est pas rare de voir des fans en faire leur morceau préféré. Néanmoins, ma préférence va à la ballade qui clôt l'album,
Amour : l'intro est très proche de celle de
Stein Um Stein, mais il n'y a nul accès de violence ici, tout est simple, dépouillé, très calme, on suit tranquillement le chant de Till... Ce n'est que bien plus tard que l'on part se perdre dans des profondeurs insondables d'amertume et de désespoir... Là encore, il faut saluer la subtilité de Rammstein, qui pour une fois ne joue pas sur un contraste simple (mais très efficace), mais parvient à offrir quelque chose de plus nuancé, et d'autant plus réussi, cette ballade peut susciter toutes sortes d'émotions à la fois... Elle est plus originale que
Ohne Dich, c'est même probablement la chanson la plus originale de l'album. Est-ce la meilleure, ça, vous en jugerez, toujours est-il que pour une fois, Rammstein apporte une fin aussi brillante que le début à son album.
Voilà, un album qui commence en grande pompe et qui finit de même, malgré un certain creusement au milieu. Je voudrais saluer la richesse exceptionnelle de cet album qui porte bien son nom, on a vraiment changé d'univers à plusieurs reprises en l'espace de onze titres ; par ailleurs,
Reise, Reise concentre beaucoup de grands titres de Rammstein :
Mein Teil,
Dalai-Lama,
Keine Lust,
Ohne Dich et
Amour pourraient toutes prétendre au titre de meilleure chanson de l'album, cinq chanson, presque la moitié! Et pour cette raison, on a aucun mal à pardonner à Rammstein quelques titres plus moyens.
Rammstein a parachevé son évolution avec cet album, et c'est plus ou moins la fin du voyage pour eux : ils ont fourni quatre albums, tous aussi bons les uns que les autres à leur façon. Ils ont dit ce qu'ils avaient à dire, ils ont montré ce qu'ils avaient dans le ventre. Alors il ne faut pas s'étonner d'un certain recyclage qu'on a pu constater chez Rammstein par la suite, le groupe a continué à vivre, mais les meilleurs albums sont déjà sortis et les suivants ne pourront pas les remplacer. Cela n'empêche pas les Teutons de nous remettre encore ici et là quelques perles, et cela ne m'empêche pas de suivre avec intérêt leur évolution depuis. Ça ne peut qu'être intéressant.
Parce que Rammstein a déjà montré qu'il était à la hauteur de sa légende. Et ce qui ne l'est pas chez lui, on l'oubliera.